Cette année 2024, toute la famille franciscaine célébrera le huitième centenaire des Stigmates de saint François.
Marqué du signe de la Croix
C’est en effet en septembre 1224, vers la fin d’une retraite sur le mont Alverne, aux alentours de la fête de l’exaltation de la sainte Croix (14 septembre) que St François a reçu les stigmates, c’est-à-dire a été marqué jusque dans sa chair, en ses mains, ses pieds et son côté, des plaies de la Passion du Seigneur. De son vivant, François prit soin de les tenir cachés et seuls les plus proches en eurent connaissance. Ce n’est qu’au moment de sa mort, deux ans plus tard, lorsqu’il fut étendu nu sur la terre nue à Sainte Marie des Anges, près de la petite chapelle de la Portioncule, que de nombreux témoins purent les observer.
« Il semblait qu’on venait presque de le déposer de la croix : il avait les mains et les pieds transpercés de clous et son côté droit était comme blessé par une lance » [1]
Recueillant les témoignages des premiers compagnons de St François et les toutes premières biographies, Saint Bonaventure nous raconte comment le saint d’Assise reçut, sur la montagne, la vision d’un séraphin portant le corps d’un homme crucifié. « Il (François) comprit pourquoi la divine Providence lui avait envoyé cette vision : ce n’était pas par le martyre de son corps mais l’amour incendiant son âme qui devrait le transformer à la ressemblance du Christ crucifié. C’est à ce moment en effet qu’apparurent dans ses mains et ses pieds les traces des clous telles qu’il venait de les voir chez cet homme crucifié. (…)
« Après donc que le véritable amour du Christ transforma en une même image celui qui l’aimait, (…) François descendit de la montagne, portant avec lui l’effigie du Crucifié non pas figurée sur des tables de pierre ou de bois par la main d’un artisan, mais inscrite dans ses membres de chair par le doigt du Dieu vivant. »[2]
De Saint-Damien à l’Alverne
Ces stigmates ne font que confirmer l’orientation de toute la vie du Poverello. Le jeune François Bernadone, épris de gloire militaire et avide d’honneurs, de reconnaissance et de bonheur s’est laissé conduire par l’Esprit, pour se remettre totalement au Père, pour toute sa vie, dans une confiance absolue et une disponibilité définitive, dans un attachement de tout son être au Christ Seigneur et Sauveur. Depuis l’appel du crucifix de st Damien en 1205, François a voulu suivre les traces du Christ pauvre et humilié, faisant de l’Evangile sa Règle et sa forme de vie.
L’événement de l’Alverne est bien dans le cheminement de François le sommet de sa suite du Christ. Dans la vision du séraphin crucifié et ressuscité, il lui est donné de contempler le mystère de la Croix, signe de l’amour gratuit et infini de Dieu qu’aucune violence ni aucun rejet ne peuvent arrêter. Il découvre dans la Croix le suprême témoignage de l’amour le plus grand qui est de se donner soi-même pour ceux qu’on aime.
« Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi »
St François a revêtu le Christ jusque dans son corps. Son amour ardent pour le Christ l’a transfiguré peu à peu en véritable icône vivante. Sa chair blessée est devenue tout à la fois un rappel de l’intensité de l’Amour de Dieu pour nous, mais aussi le symbole « d’une vie donnée sans réserve, (…) une vie qui n’a pas cherché à sauver sa peau. »[3] Son corps transpercé me parle d’une existence sans carapace, vulnérable à la compassion et aux drames humains. Il me parle d’une vie qui ne retient rien pour elle-même et qui se donne sans compter. Sans aller jusqu’à la stigmatisation, bien de visages humains sont marqués par la vie et par les combats qu’ils ont traversés pour demeurer dans l’amour et le pardon, dans le service, le don et la bienveillance. Dans leur vulnérabilité et leur fragilité, ils reflètent la bonté et la tendresse de Dieu, la joie du don, la vie plus forte que la mort. Avec François stigmatisé chantant le Cantique de frère Soleil, ils témoignent silencieusement que ce qui est blessé et vaincu pour le monde peut devenir source de vie nouvelle, de réconciliation entre les humains et avec toute la Création. N’est-ce pas ce que nous voulons signifier aussi lorsque nous traçons sur notre corps le signe de la Croix ?
Sœur Élisabeth ROBERT.
[1] Première vie de Thomas de Celano, premier biographe de st François
[2] Legenda Major de St Bonaventure 13,3.5
[3] Martin Steffens Les stigmates, d’étranges symboles ? La Croix 3 mars 2024